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REINE JEANNE La tragique messe de minuit de Coarraze

Roc, méchant roc,
Un jour viendra, où sur tes ruines,
Ne chantera plus ni coq, ni poule !
 
Cette terrible malédiction, lancée par la reine Jeanne à Rocca Sparviéra a marqué ces lieux sauvages pour l’éternité. Seuls les éperviers qui tournent dans le ciel, au-dessus des ruines pourraient nous raconter l’histoire de la tragique messe de minuit.
 
 
 
La reine de Naples, la reine Jeanne, était aussi comtesse de Provence. En ce temps-là, elle dut quitter en hâte son royaume d’Italie. Après des guerres et des émeutes, elle était traquée par la populace en colère qui voulait l’emprisonner et la mettre à mort.
 
Elle s’embarqua sur ses galères,  avec ses deux jeunes enfants, des bébés jumeaux que la reine qui était aussi une mère aimante, voulait soustraire à la vengeance de son peuple. Une petite escorte d’hommes d’arme l’accompagnait ainsi que sa servante la fidèle Catanaise et son chapelain le moine Don Pancrazio.
 
Cela se passait en l’an 1348, à l’approche de la Noël. L’idée de Jeanne était de rejoindre la Provence où elle savait ses sujets fidèles et loyaux. Elle accosta sur la Côte, près de Nice. De là, voulant trouver un refuge sûr et secret, elle s’engagea, avec sa petite escorte, sur les chemins rocailleux qui menaient, à travers la montagne, à son château au-dessus du village de Coaraze. Le lieu avait été abandonné depuis plusieurs années et les paysans furent fort étonnés, à l’aube suivante, de voir s’élever de la fumée par la cheminée du vieux château féodal.
 
Ils ne tardèrent pas à apprendre que Jeanne était revenue. Heureux  de cette nouvelle, ils s’en vinrent visiter leur reine bien aimée avec des mules lourdement chargées de provisions : Farine de châtaigne, miel, poulets, œufs, lard, jambons sans oublier trois fûts du meilleur vin de Provence. On allait pouvoir fêter la nativité dans la liesse.  Jeanne trouvait enfin auprès des gens de Coaraze, un peu de réconfort.
 
Cependant, ses ennemis à Naples ne renonçaient pas. Quelques espions avaient réussi à retrouver sa trace et cachés dans des cabanes non loin du château, ils épiaient les allées et venues. Trois de ces malfaisants, déguisés en bergers,  parvinrent même à se joindre à ceux qui apportaient des victuailles au château. Ils entrèrent dans l’enceinte, intriguèrent si bien qu’ils approchèrent Don Pancrazio. Ici, il faut préciser que le confesseur de la reine était un moine paillard très porté sur la bouteille. Les Napolitains connaissaient bien sûr ce penchant, ils entraînèrent Don Pancrazio à la cave et vidèrent en sa compagnie de nombreux pichets de vin de Provence. En réalité, ils firent boire le moine, en feignant, quant à eux, de vider leurs gobelets où ils ne faisaient que tremper leurs moustaches. Quand le moine fut fin saoul, on le boucla dans la cave à double tour. Les spadassins se cachèrent dans les sous-sols, attendant le moment d’agir. Leur plan était simple : En neutralisant le moine, la messe de minuit ne pourrait point être dite au château. Cela allait certainement amener la reine à descendre au village et à partir de là….
En effet, la reine était fort pieuse et quand on eut cherché Don Pancrazio partout en vain, elle décida de confier les bébés à la garde de sa fidèle Catanaise et de descendre à Coaraze pour y entendre la messe de minuit.
Le chemin n’est déjà pas  facile de jour mais il faut imaginer Jeanne sur sa jument blanche, bien emmitouflée dans une grande cape de grosse laine, à peine accompagnée de quelques hommes qui éclairent le sentier comme ils peuvent, avec des torches fumeuses. La nuit est noire et froide. Dans un lacet, du fond du ravin, une voix soudain retentit
 
La Regina va à la messa
Ven trouvera corsa taoula messa !
 
La reine va à la messe
Au retour, elle trouvera table mise !
 
 
Jeanne est inquiète et ne comprend pas cette mystérieuse menace. Mais elle passe son chemin.
Au village, dans la petite église cent cierges sont allumés. Le curé a revêtu sa plus belle chasuble. Un siège à haut dossier tout couvert de velours rouge attend la reine. Jeanne retrouve parmi les villageois amicaux, un peu de sa sérénité. Agenouillée, elle prie pour ses enfants qu’elle a laissés au château. A peine la messe dite, préoccupée par les paroles étranges entendues sur le chemin, tout à l’heure, elle quitte rapidement l’office au grand regret des fidèles.
Se doutait-elle de quelque chose ? Son instinct de mère la guidait-il ?
 
A son arrivée au château, un spectacle horrible attendait la pauvre Jeanne. Dans la grande salle voûtée, sous la lumière rouge des torches, la nourrice, la belle et fidèle Catanaise gisait dans son sang  à même le sol. Elle avait été ligotée et  bâillonnée.
La grande table de la salle avait été dressée pour le réveillon. Sur la nappe blanche brillait la vaisselle d’or et de cristal. Et là, au beau milieu de ce couvert, un plat d’argent est servi. Horreur ! Sur un lit de romarin et de thym les deux petits enfants de la reine sont là, ficelés comme rôtis avec chacun un grand couteau de chasse planté dans le cœur !
Folle de douleur, Jeanne les yeux dilatés par la peur se redresse et pointant son épée nue vers le donjon elle profère cette terrible malédiction :
 
Rocca rocchina
Un jou vendra que su li tui roïna
Non cantéra plu ni gal ni galina !
 
Roc, méchant roc,
Un jour viendra, où sur tes ruines,
Ne chantera plus ni coq, ni poule !
 
La prophétie allait se réaliser.  A quelques temps de là, un tremblement de terre allait secouer la montagne et du château féodal écroulé, il ne reste  aujourd’hui, que ruines.
Dans un décor désolé ne viennent plus ici que vautours et éperviers. D’où le nom que l’on donne depuis à ce lieu ROCA  SPARVIERA.
Il ne reste ici que le souvenir touchant d’une reine jeune et belle qui fut très malheureuse surtout vers la fin de son règne.

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