La chapelle de Maure Vieil
Un site insolite en plein Esterel
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Un site insolite en plein Esterel
Pour commencer, et avant d’évoquer les surprises de l’arboretum, il m’est nécessaire de me remettre en mémoire la joie toute simple que l’on éprouve à rencontrer dans la montagne, après plusieurs heures de marche, un cairn : Un pauvre empilement de cailloux posés là par d’autres hommes, avant moi, pour m’indiquer le passage, la voie à suivre. Quand, l’instant d’avant tout n’était que sauvagerie, nature farouche, chaos désertique ; Quand je me sentais seul et démuni, alors un signe est apparu : Le cairn : Un témoignage d’humanité.
Il faut s’être éloigné longtemps de ses semblables, s’être enfoncé hors des chemins, avoir erré dans la garrigue et traversé des pierriers sans nom, pour retrouver le goût de ces marques sur les arbres et de ces repères sur le sol. Il faut avoir cru reconnaître au crépuscule, le profil d’une femme aimée dans les contours indécis d’un rocher. Il faut avoir croisé l’arbre mort à forme d’animal fabuleux. Alors la folie des heures de grande solitude et le vent qui a trop longtemps hurlé dans vos oreilles vous quittent... Et le cairn indique le chemin du retour. Il est à la frontière du monde rationnel.
Aller au désert et revenir au monde. Se perdre et se retrouver. Mouvement pendulaire qui rythme mes pas sur cette terre. J’ai besoin de ces antipodes.
Au-dessus du village de Roure, l’arboretum est un lieu initiatique pour vivre pleinement ces alternances de vie sauvage et civilisée, ces retrouvailles avec les signes. Ce labyrinthe où l’arbre et l’art se mêlent et s’emmêlent, je l’ai parcouru entre Vendredi et Robinson.
L’une de mes plus fortes surprises lors de mon voyage à l’arboretum aura été ma rencontre avec le phasme.
Je marche dans la forêt. Des papillons fous brassent l’air tiède de leurs vols lumineux. Cloué sur un pin, un écriteau prévient
« Vous entrez sur le territoire du Phasme ».
Le panneau est en bois et vous pourriez ne pas l’avoir vu tant il se confond avec l’écorce du tronc. Mais les mots sont là. Les lettres sont tracées. Irruption incongrue du langage en pleine nature. Le message n’est pourtant pas clair. Sait-on encore ce qu’est un phasme ? Y-a-t-il une menace cachée dans cet avertissement. Et « territoire » qu’est ce que cela veut dire ? Je me retrouve tout à coup avec des questions d’enfant. Comme si je n’avais pas accès à quelque chose que sauraient les grands. Je me sens petit mais audacieux et ma curiosité me pousse à aller de
l’avant.
Un long couloir ombreux entre des arbres très hauts me conduit jusqu’à un curieux poste d’observation. En s’agenouillant et en regardant par le trou d’une lorgnette installée au ras du sol, il parait que l’on peut voir le phasme. Je fais la génuflexion du croyant. Mais le phasme - je sais quand même cela - est un insecte assez petit dont le corps grêle et les appendices menus ressemblent aux brindilles de bois sur lesquelles il se pose, de sorte qu’il est très difficile à observer.
Et de fait, dans la lorgnette, je ne vois rien.
Le phasme c’est sans doute un peu comme Dieu. On vous dit qu’il existe, qu’il est là, mais vous ne pouvez pas le voir.
Au-delà du petit observatoire désormais inutile, le chemin se poursuit et m’invite. Il y a quelque chose de magique dans ce qui me met en mouvement malgré moi. Une sorte d’appel, une soif de savoir. J’aurais pu m’arrêter, sourire de la farce bien conduite de l’artiste. Une de plus. Circulez, il n’y a rien à voir. L’art contemporain n’est pas à une provocation prés et nous connaissons les vessies qui nous sont proposées pour des lanternes. Mais non, à aucun moment je n’ai eu ce recul. A peine ai-je senti « le jeu ». Ou plutôt j’ai joué le jeu. Comme dans la vie, sachant qu’ il ne faut pas hésiter plus longtemps et avancer. On verra bien.
Bien m’en a pris car j’ai vu le phasme.
Un phasme inattendu. Un phasme géant. Bien plus grand que moi alors que je le cherchais parterre avec une loupe. Un grand arbre mort couché s’agrippait au sol avec les pattes maigres de ses nombreuses branches desséchées. Il était gris à souhait et se confondait avec les nuances des troncs voisins. Seule sa tête blanchâtre, sorte de trophée de chasse comme fait d’un crâne d’animal mort me révélait son existence en tant que phasme crée pour moi par la main d’un artiste.
La bête reposait, paisible. J’étais rassuré. Phasme et phantasme ( qui s’écrit aussi fantasme). Leurré, j’avais été leurré. Je préfère mystifié. Ou même mythifié. Enfin pas moi, le phasme avait été mythifié.
J’ai refait le chemin en sens inverse, comme pour vérifier l’incroyable. J’ai pris des photos. Mais les choses avaient bougé et ce que j’ai numérisé est différent. Il y a des réalités qu’on ne peut pas saisir comme ça. J’ai remis mon œil dans la lorgnette, un simple bout de tuyau. Et cette fois j’ai vu l’arbre mort là-bas au fond, s’inscrivant exactement dans le creux du tube, avec son crâne de mouton ou de bœuf.
Une espièglerie réalisée par un plaisantin.
Pourtant …Pourtant. Dans le temps où je me suis éloigné pour refaire le parcours, m’étant retourné pour chercher du regard la personne qui était avec moi, je ne l’ai plus vue. J’ai appelé, rappelé, sans obtenir de réponse. La forêt était vide et étrangement silencieuse. J’ai cherché, là autour, refaisant plusieurs fois le chemin calmement d’abord. Puis enfin en courant. Rien. Rien que les battements de mon cœur en écho à mes appels.
L’environnement était devenu tout à coup inamical. Comme si je n’étais plus à ma place. Je me sentais un étranger en territoire inconnu. Et « territoire » qu’est ce que cela veut dire ?
Cette disparition subite de ma compagne était-elle fortuite ou associée à ce climat bizarre et à toutes ces curieuses impressions récemment ressenties ? Avions nous pénétré le territoire du phasme et bravé un interdit ? Incroyable ! Nous étions-nous permis de sourire à son aspect dérisoire d’épouvantail à moineaux ? Y avait–il un prix à payer pour notre passage ? Impossible !
Il m’a pourtant semblé que la tête macabre du phasme, là-bas derrière les branches, a eu une sorte de rictus quand elle m’a vu sortir mon téléphone portable.
Mais je ne suis pas sûr.
J’ai dégringolé la sente à grands pas. Ma compagne qui avait pris un peu d’avance sur moi m’attendait plus bas, au chalet d’accueil de l’arboretum. « Tout est bien qui finit bien » dis-je en la retrouvant qui discutait paisiblement avec les agents du parc.
Pourtant il m’a bien semblé entendre quelqu’un ricaner quelque part, plus haut dans les bois.
Mais je ne suis pas sûr.
http://www.arboretum-roure.org/