Le 2 mars 1815 – De Cannes à Séranon- Passage à Grasse.
Le jeudi 2 Mars de Cannes à Grasse
Quatre heures du matin, à Cannes le 2 mars : Il ne fait pas jour et l’on s’engage, après seulement quelques heures de repos, sur le mauvais chemin qui mène à Grasse. Napoléon a choisi la route des Alpes pour monter sur Paris. A l’époque la pénétration vers les Alpes se fait par Cannes et non par la vallée du Var. Ce choix d’un itinéraire de montagne s’explique car la Provence qu’il aurait fallu traverser pour rejoindre le couloir du Rhône était fanatiquement royaliste. De plus l’espoir d’un effet de surprise et le peu de chance de rencontrer des troupes royalistes allaient dans ce sens.
Un petit monument a été récemment érigé à Rocheville au quartier des Fades pour marquer le passage de l’empereur.
On traverse Mouans-Sartoux au lever du jour. Surprise, les cloches se mettent à sonner ! Que se passe-t-il ? On va aux nouvelles auprès du curé du village. Ce n’est rien ! Ce n’est que l’enterrement d’ un pauvre mouansois qui a choisi de partir ce jour-là, et pour qui on sonne le glas.
Le jeudi 2 Mars 1815 - Passage à Grasse
L’endroit où nous sommes correspond à l’emplacement d’une halte dite du « plateau Napoléon » (Roquevignon) lors de la deuxième étape du Vol de l’Aigle, de Cannes à Séranon le 2 mars 1815. Un point d’information tourisme marque l’endroit sur le bord de la RN 85. Un chêne, assez vieux, communément appelé « chêne de l’Empereur » sert de repère. Le stand du tourisme et les panneaux de présentation de l’itinéraire routier de la Route napoléon sont à ce jour à l’abandon.
A Grasse, comme à Cannes, le maire, le marquis Lombard de Gourdon, entendait résister. Grasse est à l’époque une ville de 12 000 habitants. C’est un centre important, bien plus que les bourgades du littoral que sont Antibes et Cannes. C’est une sous-préfecture commerçante, qui vit de l’industrie du tannage des cuirs qui a précédé celle des parfums.
Averti dans la nuit par une estafette venue d’Antibes, le maire réunit son conseil municipal. On parle beaucoup. Il est question d’armer la population et de former une petite troupe d’une centaine de partisans. Mais il faut se rendre à l’évidence. La ville ne possède que trente pétoires dont cinq seulement peuvent faire feu et de toute façon, on n’a pas de munitions. Au matin, les édiles se sont envolés et le maire se trouve quelque chose d’urgent à faire à sa maison de campagne à Mougins.
Cambronne est arrivé en détachement précurseur vers 6 heures du matin avec ses 100 grenadiers d’avant-garde. Ils campent et forment les faisceaux sur la place de la Foux ( actuellement en haut du boulevard du Jeu de Ballon, là où il y a le kiosque presse et le S.I). C’est encore un pré, à l’extérieur des remparts. Il y a là un grand abreuvoir et les chevaux et les hommes en profitent pour se rafraîchir car la montée depuis La Paoute a été rude.
Cambronne s’en va chercher un imprimeur pour faire éditer les proclamations rédigées sur «l’Inconstant ». Il va passer commande à Dufort rue de l’Oratoire.
Autre préoccupation, trouver des vivres, et pour cela il procède à des réquisitions dans la ville et sur le cours. Un élu qui était encore là demande «Au nom de qui agissez-vous? « Et Cambronne de répondre « Au nom de l’Empereur Napoléon » « Nous avons notre Roi et nous l’aimons « lui est-il répliqué. On finira par négocier et par accepter de fournir des vivres pour nourrir la troupe.
Cambronne apprend qu’un de ses anciens compagnons d’arme s’est installé à Grasse. C’est le général Gazan, héros de la bataille d’Iéna. Il veut aller le saluer et il tambourine à sa porte, rue neuve ( aujourd’hui rue Gazan). C’est la cuisinière qui passe la tête à la fenêtre et lui dit «Le général n’est pas là, il est à sa campagne» On connaît le franc parler de Cambronne et son mot si célèbre. Ce jour là, il se contente de «Dis-y que c’est un jean-foutre ! «
Vers 10 heures du matin, Napoléon arrive à Grasse. Les grognards de l’avant-garde lèvent le camp et cèdent la place. L’Empereur fait halte à l’hôtel du Dauphin, place aux Aires. Après une ultime réunion d’état major il est décidé définitivement de prendre par la montagne, pour plus de sécurité et malgré les mauvais renseignements sur l’état des routes. Car, cela se confirme, les ordres que le premier consul Bonaparte avait donnés en 1802, de rendre carrossable la route de Grasse à Sisteron, n’ont pas été suivis d’effet. Il faut s’organiser en conséquence. Les 4 canons, la berline de voyage et quelques voitures réquisitionnées à Juan et à Cannes sont laissés sur place à Grasse. On achète des chevaux pour les officiers et des mulets pour transporter les vivres, les bagages et le trésor (deux cent millions d’or dit-on). Un autre souci gêne Napoléon, bien plus prosaïque. Il souffre ce jour là de maux de ventre et d’hémorroïdes et ne peut tenir à cheval. Il faudrait un cabriolet à 2 roues, mais l’on n’en trouve pas.
Après ces tractations, on choisit de se regrouper, un peu au Nord de la ville, à l’écart des habitations. Il faut une bonne halte pour attendre les derniers car la montée a été rude. Le lieu choisi c’est le plateau de Roquevignon, aujourd’hui appelé plateau Napoléon.
La halte de Grasse, sur ce plateau fut finalement assez heureuse. Il est midi. L’empereur est assis sur une pile de sacs à dos au milieu des soldats. Il déjeune d’un poulet rôti que l’hôtelier du Dauphin lui a fait porter dans un panier. Les premiers signes de détente semblent se manifester et des gras sois montent voir le grand homme. On offre du vin aux soldats et même un bouquet de violettes pour lui, qu’on appellera pour cela, plus tard, « le père la violette ». Dans la foule un ancien officier aveugle qui avait servi dans les troupes impériales s’approche de Napoléon qui lui donne l’accolade. Pour la première fois les gens crient « Vive l’Empereur ». Au loin, sur la mer, on aperçoit la flottille autour de « l’Inconstant » qui repart vers Elbe.
Vers 14 heures, les premiers éléments de la troupe se remettent en marche vers Saint-Vallier. Drouot et l’arrière garde règlent les derniers détails à Grasse. Dufort, l’imprimeur ne livrera pas les affiches de la proclamation. Il a pris peur.